Si on demande à un apiculteur averti ce qu’il se passe dans les ruches en fin de saison il répondra quelque chose du style : « A partir de septembre c’est la disette, au mieux le lierre pourra apporter quelque ressource. Mais de toute façon avec la pression des frelons, les butineuses ne peuvent pas sortir. Donc n’aie pas trop d’espoir pour que la ruche reprenne du poids. Et surtout pense à traiter contre varroa en décembre parce que chez nous (Pyrénées Atlantiques) l’arrêt de ponte arrive en décembre lorsque les températures sont vraiment fraiches.»

Bien entendu, ces grandes lignes fruit de l'expérience semblent raisonnables, mais qu’en est-il vraiment sur mon rucher ?
C’est ce que nous allons voir dans ce qui suit.

Analyse des ressources

En regardant la Productivité (comparer des poids bruts a peu de sens) depuis début août nos voyons que les ruches ont perdu du poids pendant 2 mois, jusqu’au 30 septembre. Ensuite, 15 jours durant, les apports sont venus compenser les pertes de manière considérable (les ruches ne se valent toutes). Et à nouveau, à partir du 17 octobre nous avons repris la pente descendante.

Productivité

Cette « miellée d’automne » a été possible parce que la météo à ce moment était propice : Indices de Butinage à 100% et Indice de Miellée à 40% (presque comme en été !?). J’ai un peu de lierre dans mon secteur, mais aussi du néflier du japon et de l’arbousier. Je n’ai pas été voir lequel donnait à ce moment, j’ai zappé cela. L’année prochaine j’y prêterai plus attention !

Indice miellée et butinage

Il faut dire qu'à cette période j’étais plus concerné par la pression des frelons. Dans mon secteur elle a été maximale dès le mi-août. Lorsqu’on voir les abeilles en grappe sur la planche d’envol on est vite enclin à penser que les abeilles ne sortent plus ! Nous avons ici la preuve que malgré la pression du frelon, les abeilles ont réussi à naviguer.

Pourquoi cette reprise ?

Ce qu’il s’est passé cet automne dans le sud-ouest de la France n’est pas tout à fait normal (si toutefois il existe encore une « normalité » récurrente). Nous avons eu une remontée d'air chaud en provenance d'Europe du sud qui s'est combinée avec un effet Foehn qui l'a renforcée dans le secteur Pyrénéen. Ce phénomène, bien connu des viticulteurs jurançonnais qui en font les vendanges tardives, consiste au réchauffement d'une masse d'air lors du franchissement d'un relief.

Zaka

Analyse du couvain

Quand j’avais regardé la trajectoire du couvain autour du 20 sept, j’ai cru qu’on allait droit sur un arrêt de ponte. Ça a été le cas ponctuellement pour certaines ruches. Mais début octobre les reines se sont remises au travail pour une dernière fournée d’abeilles d’hiver. Les températures anormalement élevées ont relancé la ponte et certainement la miellée de certaines plantes environnantes !

Couvain

Cette période de production de couvain a duré un mois environ, du 5 octobre au 5 novembre environ. Ensuite, autour du 8 novembre nous avons mesuré l’arrêt de ponte dans plusieurs ruches. Le 8 novembre c’est un peu tôt pour un arrêt de ponte n’est-ce pas ? A cette date les températures minimales n’ont jamais descendu en dessous des 10°C. Mais on dirait que les reines ayant fini leur fournée d’abeilles ne veulent pas s’engager sur une autre série. Le résultat est l’arrêt de ponte à une période qui est encore dominée par une certaine douceur.

Au rucher il fera encore entre 8 et 15 °C pendant deux semaines et ensuite à partir du 19 novembre ça va se rafraichir un peu plus.

Températures

Donc clairement l'arrêt de ponte en 2022 aura eu lieu début novembre. Pour donner un repère, en 2021 l’arrêt de ponte a -presque- eu lieu le 8 décembre, un mois plus tard. Et il s’est suivi par une reprise immédiate de la ponte à cause également d’une « vague » de chaleur venue d’Espagne à partir de mi-décembre et jusqu’à Noël.

Oxalic GO !

A la vue de ces éléments, il faut déclencher le traitement d’hiver dès le 10 Novembre. Saisir l’occasion pour réduire la pression de varroa au plus vite. Mais aussi se prémunir contre une éventuelle reprise de ponte déclenchée par un redoux de décembre comme nous l'avons vu en 2021.

Conclusion

Cet exemple tiré d’un cas réel, nous montre que la dynamique du rucher s’inscrit dans un système complexe. Il est fortement modulé par la météo et les ressources, même à l’automne. Entrent en ligne de compte des effets d’histoire qui ne sont pas toujours perceptibles à l’œil nu, encore moins à cette saison où l'on ouvre pas ou peu les ruches.

A force de voir passer des exemples comme celui-ci, je suis de plus en plus convaincu que la reine est conditionnée pour lancer des « fournées » d’abeilles plutôt que de faire de la ponte « au fil de l’eau ». En gros, elle s’engagerait dans une période de production et ensuite s’arrêterait, peut être modulée par les conditions météorologiques mais pas nécessairement à cause de celles-ci (c’est une subtile différence qui a son importance.)

Les outils de monitoring permettent un regard éclairé sur ces évènements. Ils synthétisent l’évolution passée et permettent de comprendre les interactions d'ensemble couvain/ressources/météo (pourvu que vous ayez quelque chose de plus qu'une balance au rucher).
Toute la force de la méthode est de partir d’un jeu de données formel et journalier pour bâtir, à partir de celui-ci, un raisonnement enrichi avec l’expérience de l’apiculteur.

Bien entendu, on peut toujours tenter de fonctionner à l’ancienne et d’enregistrer en mémoire quelques faits marquants et évènements qui vont servir à construire un scénario hypothétique que personne ne pourra opposer (même pas soi même). Cela a pu marcher par le passé, mais nous ne sommes plus du tout dans le même contexte.

Mais n’oublions pas le plus important : le monitoring en continu a permis ici d'agir au bon moment.
Le traitement oxalique était déclenché dès le 10 novembre, et ça, ce n’est pas qu'un détail pour les abeilles !


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